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phelins, les confesseurs indigents. Partout j’ai combattu la pauvreté, qui est mauvaise conseillère et qui, à la longue, dissout des courages que la torture n’a pu vaincre. Maintenant, tout est en ordre dans la maison de Dieu. Je puis partir comme un bon intendant qui a rendu ses comptes. »

Ces paroles déconcertaient Cécilius, nullement préparé à les entendre. Ne voulant pas troubler son repos, il s’efforçait de croire à la sécurité qu’il affectait :

« Pourquoi, dit-il, t’émouvoir ainsi !… Je t’assure, nous n’avons rien à redouter de Rome en ce moment. Je connais l’Empereur. Valérien Auguste est un homme modéré, et qui, s’il n’est pas des nôtres, est entouré de chrétiens…

– Tu te paies d’illusions, dit Cyprien. Je crois, hélas ! que les temps prédits sont proches. »

Et, levant vers son ami ses yeux tragiques de visionnaire :

« La paix m’a été promise en rêve…, non pas la paix transitoire du monde, mais la Paix du grand Jour, celle que doit annoncer une aurore de sang !… »

Les esclaves emportaient les corbeilles de fruits. Cyprien se mit debout, se signa et prononça l’action de grâces. Puis ils descendirent dans les jardins.

De plus en plus, l’évêque souffrait de sentir Cécilius si complètement étranger à ses préoccupations et à ses angoisses. Il ne savait comment tirer de sa torpeur cette âme volontairement engourdie. Entre les arcatures des buis et les hautes quenouilles des cyprès, il suivait mélancoliquement son ami. Ils s’assirent sur un banc du xyste. Cirta s’étalait en amphithéâtre derrière le treillage doré de la colonnade. Tout en haut du forum, dominant les toits des maisons, se dressait l’arc de triomphe élevé par Cicilius le père à la Vertu d’Antonin Auguste, « Notre Seigneur ». Cyprien le remarqua. L’édifice insolent semblait le provoquer de loin. Il dit doucement :

« Je viens de te résumer toute ma vie pendant ces