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en étendant ses deux mains vides, comme en témoignant de sa pauvreté.

En même temps, ses yeux brillaient d’un air de défi. Les esprits s’échauffaient de nouveau. Néanmoins, l’un et l’autre tenaient à rester calmes. Cécilius versa quelques gouttes d’absinthe dans un grand verre d’eau, qu’il but d’un trait. Il reprit plus posément :

« Et puis, cher Cyprien, j’ai à cœur de continuer la tradition de Minucius Félix, qui fut un grand chrétien et un ami très fidèle et très aimant de Cécilius, mon père.

– Ton père est resté païen, dit l’évêque, tout en montrant de la bienveillance et même de la sympathie pour la religion du Christ. C’était aussi la philosophie, ou la politique, de l’empereur Alexandre Sévère. Mais sois sûr que si Minucius eût vécu davantage, il l’en eût blâmé.

– Peut-être. Ce qui est non moins sûr, c’est que Minucius prêchait la conciliation, qu’il croyait pouvoir unir l’enseignement de l’Évangile et ce que la pensée païenne a de plus pur et de plus élevé… Ah ! je t’en prie, ne creuse pas un abîme entre nos pères et nous. Laisse-moi croire aussi qu’il est toujours possible de la continuer, cette tradition souriante et si doucement humaine de Minucius Félix. »

L’évêque secouait tristement sa tête, et, d’un ton sévère, épiscopal, il prononça :

« Non, c’est une chimère ! »

Le regard illuminé par une flamme intérieure, il considérait douloureusement son ami.

« Comme toi, dit-il, j’ai cru à la conciliation. Aujourd’hui, ce serait folie. Il y a trop de sang entre nos ennemis et nous. Et ce n’est pas fini ! Bientôt peut-être, le sang chrétien va recommencer à couler… »

Et, fixant sur Cécilius un regard toujours plus intense et plus douloureux :

« O mon ami, y as-tu pensé ?… Peut-être que demain ce sera notre tour. Peut-être que le moment est venu, pour nous aussi, d’offrir notre vie en sacrifice… Vois-tu,