Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/47

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Engagé par la fraîcheur matinale, il descendit vers les parterres. Des arcatures de buis, où se nouaient des roses grimpantes et des volubilis, encadraient les parterres. À l’extrémité de la perspective, un xyste, aux tuiles et aux treillages dorés, déployait ses entre-colonnements sur un fond vaporeux de montagnes, tandis qu’au centre, dans un massif de lauriers blancs, un tétrastyle coiffé d’un toit pointu abritait une statue de Vénus au miroir. Elle était peinte de façon à imiter la rose des carnations, la blondeur vermeille des cheveux…

À la vue de cette image sensuelle, l’évêque se détourna, repris par ses soupçons et ses craintes. Évidemment, Cécilius avait tout accepté de l’héritage paternel, sans y rien changer. Nonchalance coupable chez un chrétien ! Ainsi, cette chapelle rustique, personne n’avait osé y toucher depuis la mort du maître idolâtre. Tout était encore en place : les cornes de taureau et le pot de fleurs qui surmontaient l’édicule, les colombes en terre cuite plantées aux quatre angles, comme des girouettes sur leurs aiguilles : il n’y manquait que des couronnes et des bouquets… La chose était manifeste : Cécilius continuait à vivre, au moins en apparence, comme avait vécu son père, païen zélé et adulateur dévot des Césars. Et Cyprien se rappelait que, la veille, en traversant le forum, il avait aperçu au frontispice de l’arc de triomphe, élevé par ce provincial ambitieux, une dédicace à la Vertu d’Antonin Auguste, Notre Seigneur, et plus loin, une statue de bronze, qui représentait l’Indulgence de ce même seigneur… « L’Indulgence, la Vertu de Notre Seigneur ! » Ces paroles retentissaient comme des blasphèmes aux oreilles de l’évêque. Car il n’y a qu’un seul Seigneur ! « Tu n’auras point d’autres dieux devant ma face ! » dit l’Écriture. Et le dieu que l’on glorifiait ainsi par le marbre et par l’airain, c’était Caracalla, une brute sanguinaire !… Mais quoi ! il fallait bien payer les honneurs par des largesses et des apothéoses. Ces dérisoires honneurs municipaux, Cécilius le père les avait tous obtenus l’un après