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Pour faire sa cour au représentant de l’Empire, il crut devoir formuler toute une déclaration de principes, dont il avait soigneusement préparé les termes. Il ajouta, en regardant le préfet Rufus, comme s’il quêtait son approbation :

« Comment peux-tu nier nos dieux, quand tu vois partout, dans nos temples, sur nos forums, les images sacrées des augustes Empereurs, dont le divin génie s’atteste par des effets assez palpables, il me semble, dans le gouvernement du monde. La force du monde s’incarne en celui qui en est le maître visible. L’Empire est la manifestation la plus complète et la plus haute de la divinité. »

Un silence gêné accueillit ces paroles. Rufus lui-même, qui n’ignorait pas l’indifférence ni l’hostilité secrète des Africains à l’égard de Rome et du pouvoir, trouva que Roccius allait trop loin. Marien, toujours debout sur l’estrade, haussait les épaules dédaigneusement. Il finit par dire :

« Notre Dieu aussi est visible. Il a habité parmi nous et il s’est manifesté après sa résurrection.

– Illusions ! Contes de bonne femme ! vociféra Roccius. Nos histoires à nous sont pleines des apparitions de nos dieux. On les a vus. Te faut-il des exemples fameux ?… Pendant que les Romains se battaient auprès du lac Régille, les Dioscures vinrent annoncer dans Rome le gain de la bataille, avant même qu’elle ne fût gagnée. Un citoyen de haute naissance, Domitius Ænobarbus, vit sur le forum, devant l’abreuvoir, deux jeunes gens d’une taille et d’une beauté extraordinaires qui faisaient boire leurs chevaux tout couverts de sueur, et qui lui dirent : « Rome a remporté la victoire ! » Et, comme Ænobarbus paraissait en douter, un des jeunes gens lui toucha la barbe qui, de noire qu’elle était, devint rousse…

– Illusions ! Contes de bonnes femmes ! » rétorqua Marien en ricanant, au grand scandale de l’auditoire que ce pieux récit avait émerveillé.