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hébété, allaient et venaient autour de la ferme et des écuries, cherchant un gîte, un petit coin propice où s’abriter. Quelques-uns, la tête dans les mains, sanglotaient à l’écart, assis sur des poutres ou des bottes de paille. C’étaient des paysans qui avaient été surpris par les soldats dans des villages isolés, où toute résistance était impossible. Les plus fortunés s’étaient enfuis avec leurs ânes et leurs mulets, ayant entassé en hâte sur le dos des bêtes de somme des matelas, des couvertures, de primitifs ustensiles de cuisine. Des riches, sans doute réveillés en sursaut à l’approche des légionnaires, portaient à leurs pieds nus des babouches d’intérieur toutes déchirées et souillées de poussière, et, sur une simple tunique de nuit, un manteau somptueux pris au hasard dans la trépidation de la fuite. La plupart avaient dû faire la route à pied, troupeau lamentable où il n’y avait que des femmes, des enfants, des vieillards, la soldatesque s’étant acharnée sur les hommes valides et les adolescents. Comme des bêtes fourbues, ils gisaient par terre, pêle-mêle, au milieu de la cour, parmi les débris navrants et risibles qu’ils traînaient avec eux.

Redressant sa haute taille malgré sa jambe boiteuse, le diacre Jacques se multipliait auprès des fugitifs. Deux petits garçons pendus aux plis de sa dalmatique embarrassaient sa marche. Marien le suivait, avec une équipe de panetiers et de cuisiniers portant des marmites et des outres. Il engageait les misérables à manger et à boire, leur prodiguait les mots de réconfort et de consolation. Il était extraordinaire de confiance, d’allégresse. On aurait dit qu’il laissait derrière lui un sillage de lumière et de joie. Les visages mornes se relevaient au son de la voix chaude et vibrante. Lui, il allait d’un groupe à l’autre, le front rayonnant, l’air enivré, jetant à la foule des images exaltantes, ne parlant que de gloire, de couronne, de triomphe, de rafraîchissement éternel…

Dès qu’il aperçut Cécilius, il courut à lui, en prenant