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radieuse. Un vent d’est ayant soufflé vers la fin de la nuit, l’atmosphère était débarrassée de ses brouillards tièdes et amollissants. Dans la courbe harmonieuse des rivages, sous les masses architecturales des hautes montagnes, le golfe d’un bleu laiteux resplendissait à la façon d’un immense parvis d’albâtre, comme si la terre d’Afrique se purifiait et se faisait belle pour le triomphe de son martyr.

Malgré l’heure matinale, la route regorgeait de monde, de gens du peuple surtout qui se hâtaient vers le Champ de Sextius et la villa proconsulaire. Quand Cécilius y arriva, il apprit qu’au moment même, Galerius Maximus interrogeait Cyprien dans une salle publique qu’on appelait l’atrium de Sauciolus. Une grande foule silencieuse bloquait les abords de cet édifice. Il ne fallait pas songer à y pénétrer. Non seulement la foule en barrait l’accès, mais une consigne sévère interdisait l’entrée de la salle à quiconque ne faisait point partie des Offices. Impatientes, des femmes criaient :

« Écartez-vous ! Cyprien va sortir ! »

Cependant personne ne bougeait. De groupe en groupe on se répétait et on se commentait les paroles de l’évêque transcrites à mesure par les sténographes. Il circulait déjà des copies du procès-verbal, échappées on ne savait comment du prétoire. Cyprien s’était borné à répondre ce qu’il avait auparavant répondu au prédécesseur de Galerius, lors de son exil à Curube : « Je sais le prix de ma résistance. Fais ton devoir, je ferai le mien ! » Cécilius, qui écoutait tout cela, attendait, haletant d’angoisse, le dénouement inévitable. A côté de lui, un gros homme à la barbe noire clairsemée et au visage noyé de graisse causait à mi-voix avec un artisan. C’était Saturninus, le marchand de curiosités. Il dit à l’oreille de l’autre :

« Tu as vu, il est arrivé de Carthage tout en sueur. Alors je me suis entendu avec un de ses gardes, un sergent qui a été autrefois chrétien, pour qu’il lui propose des vêtements secs en échange des siens… »