Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/248

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

diacre Pontius. Nous nous relaierons pour garder ton sommeil. »

Mais Cyprien s’y opposa :

« Je dormirai sans crainte, dit-il. Quoi qu’il arrive, mon esprit est calme, et, comme il est écrit, « ma chair elle-même se reposera dans l’espérance… »

Et, malgré leurs instances filiales, il leur enjoignit à tous de se retirer pour aller dormir. Puis il baisa chacun d’eux, en murmurant :

« Que la paix soit avec toi ! »


Cécilius qui avait gagné une hôtellerie voisine se débattait en vain contre l’insomnie. Il souffrait cruellement de ce qu’il appelait la froideur de Cyprien. Quelle déception pour son inconscient égoïsme ! Il était accouru à Carthage sous prétexte d’assister le martyr à ses derniers moments : en réalité, il n’était venu que pour se faire plaindre de lui, pour trouver une oreille complaisante au récit de ses malheurs comme à la confession de ses fautes. Et voilà que Cyprien, se retranchant dans son caractère sacerdotal, l’avait traité comme le premier venu d’entre les fidèles. Il l’avait humilié sous la terrible égalité chrétienne. La leçon était trop dure pour sa faiblesse de cœur : il se refusait à l’accepter ! Après sa fille il accusait son ami d’indifférence et d’insensibilité. Maintenant, tout était bien fini pour lui ! Plus rien, absolument plus rien ne le rattachait au monde !… »

Il roula pendant de longues heures ces pensées désolantes. Vaincu par la fatigue, il commençait à peine à s’assoupir, quand il fut réveillé en sursaut par Trophime, tout frémissant d’émotion.

« Maître, dit-il, ils viennent d’enlever Cyprien à la pointe de l’aube. Ils l’ont fait partir immédiatement, en lui laissant tout juste le temps de se vêtir ! Lève-toi, si tu veux le voir encore !… »

Les chevaux harnachés étaient déjà prêts. Ils s’élancèrent sur la route de Mégara. La journée s’annonçait