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brasser tous : j’embrasse pour vous Jader comme le plus ancien de l’Église… »

L’homme rude, ses yeux farouches voilés de pleurs, sous la broussaille hirsute des sourcils, s’avança pour recevoir de l’évêque le baiser fraternel. A cette vue, les protestations d’amour reprirent avec une ferveur délirante :

« Salut, Père !

– Ne nous oublie pas !

– Souviens-toi de nous au moment de ton sacrifice ! »

Quelques-uns jetaient leurs noms, afin d’être plus sûrs de participer à la gloire du martyr, d’être avec lui, pour une petite part, dans son triomphe tout proche.

« Mes bien-aimés, dit Cyprien en les congédiant, c’est à vous de vous souvenir de moi à l’autel du Seigneur… »

Les gens du peuple, les artisans s’en allaient lentement, comme à regret. Les banquiers eux-mêmes partirent. Il ne resta plus qu’une douzaine de personnes qui étaient des domestiques ou les amis les plus intimes de l’évêque. Alors Cécilius, croyant le moment propice, essaya de prendre à part Cyprien :

« Je t’en prie, dit-il, écoute-moi !

– Tu vois ces hommes, dit l’évêque en montrant la foule qui s’écoulait, je leur appartiens, ce sont mes brebis, mais toi, je t’ai pris dans mon cœur. »

Et, ayant dit cela, il fit mine de revenir vers le groupe qui demeurait.

« Ah ! Cyprien ! protesta douloureusement Cécilius, est-ce que tu m’abandonnes ? Est-ce là la foi promise ? Te souviens-tu de ce matin radieux sur la route de la nécropole ?…

– C’était l’actuel triomphe annoncé d’avance ! Comme ce matin-là, tu seras de moitié avec moi dans la gloire ! Je te l’ai dit : je t’attends !

– J’en suis indigne, » dit Cécilius.

Il aurait voulu pouvoir parler, confier à l’ami tous les