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la nature, elle aussi, semblait de connivence avec le proconsul pour amollir le courage du martyr.

Dans le vestibule du logis, il se heurta à l’obstination inflexible du portier, qui avait reçu l’ordre de ne plus laisser entrer personne. Devant l’insistance du visiteur, il finit par faire appeler de l’intérieur le diacre Pontius, qui, ayant reconnu tout de suite son hôte de Cirta, s’empressa de le conduire auprès de Cyprien.

Il y avait beaucoup de monde dans l’étroite cour du logis où se tenait l’évêque. Les artisans et les gens du peuple surtout étaient nombreux. Ils se pressaient autour du banc où Cyprien était assis près d’une fausse grotte en albâtre et en stuc. Des mains pieuses avaient drapé ce banc comme un siège épiscopal. L’évêque semblait là dans sa propre maison. L’officier, par courtoisie, évitait de se montrer. C’est à peine si, de temps en temps, un esclave, une servante curieuse entre-bâillait une porte ou soulevait une tenture, pour épier la scène et dévisager ceux qui entraient. Dès qu’il aperçut Cécilius devant qui les groupes s’écartaient, Cyprien se leva. Ses traits étaient reposés et souriants. Sa grave figure de magistrat romain avait sa sérénité habituelle. Il ouvrit ses bras à son ami en lui disant :

« Frère bien-aimé, ta venue me cause une grande joie. Mais, tu le sais, ce n’est pas ici, c’est ailleurs que je t’attends ! »

Et, lui ayant donné le baiser, il prononça d’une voix plus basse :

« Que la paix soit avec toi ! »

Le ton de l’évêque était à dessein impersonnel, sacerdotal. Ses mains quittèrent les épaules de Cécilius et il se retira doucement de lui, comme pour lui signifier que ce n’était plus l’ami qui lui parlait, mais l’évêque, le père commun du troupeau. Celui-ci le sentit immédiatement, et, pour son affection tout égoïste et jalouse, ce fut d’abord une douloureuse blessure. On lui prenait son ami. Il ne pourrait pas lui confesser le trouble et les remords