Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/206

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle agitait ses bras vers le cavalier qui grimpait la ruelle escarpée, sans retourner la tête. Puis, comme foudroyée par le soleil dévorateur de midi, elle s’évanouit dans le trou d’ombre d’où elle était sortie, et ce fut une lueur de pourpre, une flamme violette, qui balayait le sol, léchait la muraille et s’éteignait tout à coup. Des enfants dégringolèrent entre les murs de cuivre vermeil. Leurs petites tuniques orangées, lilas et vertes, s’allumèrent un instant, au milieu des cris aigus et des jets de pierres. L’instant d’après, ces couleurs ardentes s’étaient fondues dans la ruelle déserte et silencieuse. L’incandescence de la méridienne absorbait tout en une même pâleur éblouissante. Birzil, qui défaillait sous ce feu du ciel, rentra dans son abri de verdure, angoissée, se demandant ce que signifiait cette fuite soudaine du soldat…

Le jour suivant, à la même heure, alors que tout dormait dans le Village Rouge, elle vit surgir du même sentier, sur la rive opposée, un berger avec sa crosse, le haut du visage dissimulé par un pétase à larges ailes. Il s’assit au bord de l’oued sur une grosse pierre, et, prenant une flûte qui pendait à sa ceinture, il se mit à jouer en sourdine un air si primitif qu’il se distinguait à peine des modulations intermittentes des souffles dans les roseaux. Birzil, qui, à travers les branches du figuier, épiait tous ses mouvements, avança un peu sa tête au-dessus du petit mur en pisé. Il l’aperçut, rejeta son chapeau en arrière, et la jeune fille reconnut aussitôt le soldat de la veille. Le doigt sur la bouche, elle commanda encore une fois le silence, car elle tremblait que Nabira ou quelques esclaves de la maison ne fût aux écoutes. Alors le faux berger lança une pierre sur la terrasse, et, toujours avec la même promptitude, il s’éclipsa entre les rochers qui obstruaient le lit de la rivière. Une tablette était attachée à la pierre. Ce fut, pour Birzil, une opération très longue et très délicate que de la ramasser, puis de la lire, sans être vue par les gens du logis, ou par ceux du dehors. Elle sentait autour d’elle des yeux aux aguets et elle savait que, der-