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Barbares, ô ma sœur, combien tu es impatiente ! Combien tu désires sa rencontre !… » Sa rencontre, c’était celle du bien-aimé. Elles tournaient, tournaient en fermant les yeux, et, à travers la buée rouge, qui montait à leurs paupières closes, elles croyaient apercevoir le visage adoré.

Alors les Cyrénéennes, se piquant d’honneur, proposaient un jeu que Birzil ne connaissait pas, « le jeu de Psyché. » Elles allaient chercher une lampe qui ne servait point à autre chose et qui était placée dans une niche, à leur chevet, une petite lampe ronde, en argile rouge, avec une anse en proue de navire, un bec pointu et deux trous d’air près de la queue, une petite lampe élégante, quoique très ordinaire, bien adaptée à la main et moelleuse comme un ivoire. Au centre, un médaillon en relief montrait Psyché près du lit d’Éros, au moment où la goutte d’huile fatale tombe sur l’épaule du jeune dieu endormi. L’artiste avait véritablement animé l’image de la lampe indiscrète. Une des danseuses désignée par le sort devait saisir la petite flamme vacillante et descendre toute seule dans un cellier, où elle était censée voir, au milieu des ténèbres, la figure de son fiancé. Dès le seuil de l’antre noir, la lampadophore se sentait prise d’épouvante, ou bien elle trichait. Et c’était un redoublement de cris, d’invectives et de querelles que Nabira avait beaucoup de peine à réprimer.

D’habitude, Birzil se tenait à l’écart des jeux. La vieille gardienne du gynécée lui savait gré d’être plus sage que ses compagnes. Elle commençait même à lui témoigner une certaine amitié, comme si elle appréciait son intelligence et sa finesse, et comme si, d’avance, elle voulait se ménager en elle une alliée contre la favorite de Sidifann, l’altière Siddina. D’ailleurs, la maison était pleine d’intrigues qui s’entre-croisaient et s’enchevêtraient. Nabira surveillait jalousement son troupeau, mais, par goût invincible du romanesque, elle n’hésitait point à semer le trouble dans les gynécées voisins. Sans cesse