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expédition partit donc comme il était convenu, en pleines ténèbres, passé la deuxième heure.

Ayant obtenu du légat l’autorisation d’accompagner les cavaliers, Cécilius les attendait à la porte du camp, sur un cheval de louage. Dès qu’il l’eut reconnu dans l’ombre, le jeune lieutenant piqua des deux vers lui, heureux de trouver quelqu’un qui l’aidât à tuer cette longue étape nocturne. Ils chevauchèrent l’un à côté de l’autre. Victor s’empara littéralement de l’étranger, qui se défendait de son mieux contre cette fougue et cette pétulance toutes militaires. Au fond, l’aristocrate qu’était Cécilius n’aimait point le fils du centurion. Et pourtant il lui eût été assez difficile d’expliquer les raisons de son éloignement. C’était quelque chose de tout instinctif, l’opposition sourde de deux natures très différentes. Ce qu’il y avait de certain, c’est que la jactance du jeune homme, sa témérité, sa bravoure tout impulsive, presque animale, lui déplaisaient. Il y avait surtout entre eux l’inégalité de leur âge, qui les empêchait de se comprendre. Pourtant Cécilius sentait bien la nécessité de flatter l’option : le succès de l’entreprise, la délivrance de Birzil dépendaient de lui. Il se força donc à l’écouter et à subir sa présence. Puis, peu à peu, la fraîcheur d’âme de ce soldat, qui était presque encore un enfant, séduisit son âme lasse. Il fut sensible à cet enthousiasme toujours prêt à jaillir, à cette exaltation des paroles qui traduisait mal la générosité d’un cœur avide de se donner. Et il devinait une telle candeur, une bonne foi si naïve, dans ce désir de l’approbation d’autrui, dans ce besoin perpétuel de plaire, et aussi de se faire louer et admirer !…

Cependant, cette première étape fut pénible pour tous deux. Ils n’avaient pas encore eu le temps de s’habituer l’un à l’autre. A travers cette grande plaine morne, où l’on buttait continuellement dans les ornières de la piste, la nuit leur parut interminable. A l’aube, ils campèrent dans la montagne, et, toujours pour voyager de nuit, ils repartirent seulement après la grosse chaleur. Ils évi-