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seule douceur de vivre est une jouissance si parfaite qu’on n’a plus besoin d’autre chose. Tous les jours, avant l’aube, je reste des heures à écouter, sur le balcon de ma chambre, l’écoulement sans fin des torrents dans les gorges et l’étrange sanglot des eaux aux flancs des roches sonores. Même aux heures les plus brûlantes, dans l’accablement et le silence de la terre, il passe des brises légères, suaves comme une caresse. Les lauriers-roses frémissent le long des berges, les feuilles des palmiers font un bruit ténu d’ondée printanière. En bas, dans le lit de la rivière, des femmes agenouillées lavent des linges couleur de pourpre. Venue on ne sait d’où, une modulation de flûte, d’abord à peine perceptible, monte peu à peu avec une acuité déchirante, puis expire soudain dans l’horreur splendide de midi… Je voudrais demeurer ici toujours ! Je t’en prie, cher Cécilius, laisse-moi passer tout l’été sur cette terre de flamme et de joie. Ne crains rien ! Trophime est un père pour ta Birzil. Quant à Thadir, elle veille sur moi comme sur un trésor nuptial. Porte-toi bien ! »


Cécilius reçut cette lettre, en arrivant à Muguas, quelques jours après avoir quitté Sigus. Il s’était arrêté, chemin faisant, à Buduxi, chez un riche propriétaire, qui était avec lui co-fermier des mines, Julius Proculus, païen zélé, néanmoins esprit très libre, maître très humain et très respecté. Celui-ci était aussi fort au courant de tout ce qui touchait à l’exploitation minière. Natalis, agité par mille projets de réforme, désirait conférer longuement avec Proculus sur le régime des condamnés. En même temps, comme les confidences de Mappalicus lui faisaient redouter le soulèvement, si souvent annoncé, des montagnards de l’Aurès, il avait envoyé un homme sûr au Calcéus, avec un message qui enjoignait à Birzil de regagner Cirta en toute diligence. Sans doute, la lettre de la jeune fille s’était croisée avec la sienne. Il tremblait que le messager n’arrivât trop tard.