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laisse-toi sauver, je t’en supplie !… Mappalicus t’expliquera notre plan… Demain, si tu veux, tu seras libre ; tu assisteras chez moi au divin Sacrifice…

– Ou j’y assisterai dans le ciel avec le Christ !

– Encore une fois, je t’en conjure, laisse-toi sauver ! » Privatianus secoua la tête, et, avec un pâle sourire : « Je n’ai aucun espoir en ce monde… Fais ce que tu voudras… ce que le Seigneur voudra ! »

Cécilius contemplait ce frêle corps de supplicié, sur qui les bourreaux s’étaient si longtemps acharnés. Il touchait les cicatrices de ses épaules, palpait la plaie de sa main, et, promenant un coup d’œil sur l’écurie sordide, il considérait cet homme cultivé (Privatianus était un ancien grammairien) qui était devenu palefrenier, et qui consentait à cette déchéance, qui endurait toutes ces tortures, depuis des mois et des années, uniquement pour attester qu’un Juif de Nazareth, qu’il n’avait jamais vu, qui avait été crucifié deux cents ans auparavant, était ressuscité d’entre les morts ! Et ce témoignage en faveur du Dieu très doux, mort pour le salut de tous les hommes, ce vieil infirme était venu le donner au monde là où le monde foulait le plus durement les hommes, dans ces limbes douloureuses dont les damnés souffraient sans espérance !… Au prix d’une telle abnégation et d’une telle foi, combien son œuvre, à lui Cécilius, était médiocre, combien sa petite sagesse pratique était dérisoire et même un peu lâche !…

Il ne put résister à ce reproche de sa conscience. A son tour, il se jeta aux pieds du martyr, en sanglotant :

« Bénis-moi, mon père ! Je ne suis que cendre et poussière devant toi. Je suis plus vil que ce fumier !

– C’est au Christ de te bénir, dit Privatianus. Moi, je ne suis qu’un misérable moribond, dont les yeux ne te voient même plus…

– Tes yeux qui ont accepté ces ténèbres sont dignes de voir le Seigneur !

Cependant Mappalicus, qui faisait le guet derrière la