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AU CANTONNEMENT

passer les chasseurs, s’étonnant de leurs bérets.

— Ce sont des soldats des colonies, expliqua l’une.

— Ce sont des marins, rectifia l’autre.

— Ils ont retiré le pompon rouge, qui se voyait trop.

Les mulets du train de combat défilant placidement, l’oreille basse, les longs poils collés par la terre, eurent un grand succès de curiosité.

On s’arrêta pour quelques instants à la sortie du bourg. Vaissette entra dans un estaminet. On ne pouvait rien distinguer dans la pièce enfumée et noire. Elle contenait une trentaine de personnes qui avaient quitté leurs villages où tombaient nuit et jour les obus, et qui s’obstinaient à vivre là, dans le voisinage de leur maison démolie : toute une humanité inconsciente des événements, affamée et misérable, et riant encore, et se lutinant, et buvant comme à une kermesse interminable. Dans l’écurie, une fillette, qui avait perdu ses parents, toussait, étendue sur de la paille mouillée, et la toux colorait ses pommettes