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L’ENNUI DANS LA TRANCHÉE

tout bombardement, à tenir contre toute attaque, à tenir en s’incrustant au sol, à tenir jusqu’à la mort ce pauvre fossé confié à sa garde. Ce n’était pas autre chose que cela.

Dès la tombée du crépuscule, cette idée fixe s’installait en son cerveau et le dominait jusqu’aux lueurs de l’aurore. Il épiait les bruits de la nuit. C’étaient les bruissements de l’herbe, de lointaines chansons, le va-et-vient des hommes de ravitaillement dans les boyaux, une brusque fusillade, une canonnade subite. Il n’osait pas dormir. Il était seul dans son poste, où l’eau pénétrait. Il ne pouvait tenir en place. Il parcourait la tranchée, allait voir les veilleurs derrière les créneaux, s’avançait dans un poste d’écoute qui s’enfonçait vers la ligne allemande. Il rassurait le guetteur, qui pensait à chaque minute entendre les pas d’une patrouille ennemie.

Puis, la pluie se mit à ruisseler des jours durant sans se lasser. Ce fut un intolérable et long ennui. L’eau transperçait tous les vêtements. On vivait dans l’humidité qui imprégnait la peau, les muscles. On était découragé, tant on se sentait impuissant contre l’hostilité