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L’APPEL DU SOL

parler, d’encourager leur malade. Ils suaient, à bout de souffle depuis la veille, taillant et pansant les blessures sans une seconde de répit, leur blouse humide et rouge du sang mêlé de centaines d’hommes. On étouffait dans la pièce où s’unissaient les odeurs du chloroforme, des sueurs d’épouvante, les senteurs fétides de toutes les décompositions : par les fenêtres ouvertes montait des champs la puanteur des cadavres.

Et toujours par la porte arrivaient de nouveaux blessés ; devant les fenêtres passaient les fourgons gris d’ambulance, toutes les carrioles qu’on avait pu trouver, où s’empilaient, cahotées sur les routes, les pires douleurs physiques.

Les infirmiers n’avaient pas le temps de laver les corps, remplis de boue comme les uniformes. La terre mordait les chairs meurtries, avec ses menaces d’infection. Parfois on ne voyait qu’un trou imperceptible, qu’on avait de la peine à découvrir, à la jointure du coude, à la poitrine, dans le ventre. Une balle était entrée, était sortie parfois, accomplissant traîtreusement ses ravages. Parfois au contraire la plaie était énorme, les chairs arrachées, violettes et