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PAROLES AVANT LA BATAILLE

résultat des premières batailles, du drame de la guerre vu dans ses réalités intimes. Il avait chargé, il avait retrouvé le cadavre souriant de son capitaine, il avait conduit ses hommes au feu, il portait en ce moment en lui la responsabilité de commander ses chasseurs, il était juge de leur sacrifice et maître d’une centaine d’existences humaines. Et Lucien faisait un examen rigoureux sinon de sa conscience, qui était nette, du moins de son esprit. Sa personnalité avait été un peu effacée jusque-là. Il s’en jugeait sévèrement. Il avait aimé à rechercher, en toute bonne foi, la vérité dans les opinions extrêmes et dans les paradoxes. Il avait subi trop d’influences. Il avait en partie adopté les avis divers de tous ceux qu’il avait fréquentés. C’était de sa part un effort de sincérité, et aussi le fait de la jeunesse de son cerveau sensible aux idées, et peut-être un désir de satisfaire son interlocuteur : il avait abondé souvent dans le sens de qui l’approchait, par une sorte de coquetterie spirituelle involontaire, autant par bonté réelle que par le plaisir instinctif de se faire aimer. Sa droiture l’avait sauvé des dangers de cette tournure de l’esprit. Et c’était