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« J’ai passé par Genève, comme je me l’étais proposé, et, à la faveur de votre recommandation, j’ai eu l’honneur de dîner chez Monsieur de Voltaire, qui m’a fait un très gracieux accueil. Il était ce jour-là en humeur de rire et ses plaisanteries tombaient toujours, comme de coutume, sur la religion, ce qui amusa beaucoup toute la compagnie. C’est, en vérité, un original qui mérite d’être vu. »

Voltaire n’a pas même remarqué le géomètre ; le nom de Lagrange dans ses lettres n’est pas prononcé. On l’aurait bien surpris en lui prédisant que ce jeune homme insignifiant, qui le trouvait curieux à voir, occuperait dans l’histoire de l’esprit humain une place plus haute sinon plus grande que la sienne.

L’esprit de d’Alembert est complexe, mais son cœur est facile à connaître. L’effort nécessaire pour la dissimulation dépassait ses forces. Ses amitiés, ses amours, ses dédains et ses haines, son incrédulité et son scepticisme étaient connus de quiconque l’approchait, et lorsque, désireux de tranquillité, il prenait la résolution d’être correct et prudent, il ne tardait pas à rire de lui-même, comme il voulait rire de tout.