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d’Alembert resta décolorée et sans but : l’hiver était venu pour son âme. La géométrie, si longtemps négligée, lui rendait seule l’existence tolérable. Le respect et l’admiration qui l’entourèrent jusqu’à son dernier jour pouvaient le distraire, mais non le consoler de vieillir sans famille, sans espérance et sans tenir à rien ici-bas. Une maladie douloureuse vint bientôt briser sa santé constamment chancelante, et il mourut le 29 octobre 1783, à l’âge de soixante-six ans, en trouvant que la vie ne vaut pas un regret.

Honnête homme et homme de bien, d’Alembert fut aimé et estimé de tous ceux qui l’ont connu. Ses contemporains ont exalté à l’envi sa bonté et sa générosité, toujours prête, sans ostentation de vertu. Admiré et vanté jeune encore par les juges les plus illustres, il n’excita l’envie de personne. Il s’exerça dans les genres les plus divers, et, sans avoir produit dans tous d’immortels chefs-d’œuvre, il fut placé par l’opinion au premier rang des savants, des littérateurs et des philosophes. Sans fortune, sans dignités, malgré le malheur de sa naissance et l’humble simplicité de sa vie, il fut grand entre ses contemporains par l’étendue de son influence. L’élévation de son caractère égala celle de son esprit. Dans son commerce familier et intime avec les plus grands personnages de son siècle, il sut conserver sans froideur toute la dignité de ses manières et obtenir sans l’exiger autant de déférence au moins qu’il en accordait ; mais, quoique