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pauvres que moi. J’ai commencé, comme les autres hommes, par désirer les places et les richesses, j’ai fini par y renoncer absolument : et de jour en jour je m’en trouve mieux. La vie retirée et obscure que je mène est parfaitement conforme à mon caractère, à mon amour extrême pour l’indépendance, et peut-être à un peu d’éloignement que les événements de ma vie m’ont inspiré pour les hommes. La retraite et le régime que me prescrivent mon état et mon goût m’ont procuré la santé la plus parfaite et la plus égale, c’est-à-dire le premier bien d’un philosophe. Enfin, j’ai le bonheur de jouir d’un petit nombre d’amis dont le commerce et la confiance font la consolation et le charme de ma vie. Jugez maintenant vous-même, monsieur, s’il m’est possible de renoncer à ces avantages, et de changer un bonheur sûr pour une situation toujours incertaine, quelque brillante qu’elle puisse être. Je ne doute nullement des bontés du roi, et de tout ce qu’il peut faire pour me rendre agréable mon nouvel état ; mais, malheureusement pour moi, toutes les conditions essentielles à mon bonheur ne sont pas en son pouvoir. L’exemple de M. de Maupertuis m’effraye avec juste raison ; j’aurais d’autant plus lieu de craindre la rigueur du climat de Berlin et de Potsdam, que la nature m’a donné un corps très faible et qui a besoin de tous les ménagements possibles. Si ma santé venait à s’altérer, ce qui ne serait que trop à craindre, que deviendrais-je alors ? Incapable de me rendre utile au roi, je me verrais forcé à aller finir mes jours loin de