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LXXVI
INTRODUCTION

larcins, on arrive à cette conclusion que l’épargne procurée de ce chef dépasse à elle seule la totalité des frais du service anthropométrique[1].

La moindre récidivité des étrangers comparée à celle de nos nationaux est un résultat analogue au précédent, mais d’une portée économique beaucoup plus grande encore. Les tableaux mensuels de la statistique municipale relatifs au service d’identification de la Préfecture de police montrent que les malfaiteurs français reviennent au service d’anthropométrie dans la proportion de un ancien contre un nouveau, tandis que les étrangers ne récidivent que dans celle de un contre cinq. Certes il n’est pas douteux que la récidive infiniment moindre des étrangers ne soit attribuable à la loi d’expulsion du 3 décembre 1849. Pourtant ces mêmes tableaux statistiques démontrent qu’il faut examiner une moyenne de quinze récidivistes français pour en découvrir un se dissimulant sous un faux nom, tandis que les étrangers fournissent un rapport de une reconnaissance contre trois examens. Ainsi les mesures d’expulsion, dont le pays tire un si grand bénéfice, ne peuvent produire leur plein effet que si elles sont toujours et partout secondées par l’anthropométrie.


Il est une réflexion qui vient spontanément à l’esprit en présence de ces chiffres et des succès qu’ils constatent. « Je ne doute pas, direz-vous, que l’examen anthropométrique ne fasse reconnaître un certain nombre de malfaiteurs. Mais combien réussissent, comme avant, à passer à travers ces filets ! Voici le chiffre de vos succès ; mais qui me dit qu’il n’est pas dépassé par celui des insuccès ? »

  1. « On a fréquemment insisté, ces derniers temps, sur le fait que la qualité de la punition avait une portée moins grande que la certitude que cette punition interviendra dans tous les cas. L’idée que le crime commis sera infailliblement suivi d’une peine est un motif, tout ce qu’il y a de plus efficace, pour ne pas commettre le crime. Les mensurations anthropométriques forment un puissant élément de cette prévention générale du crime en fournissant au juge les moyens d’identifier comme récidiviste tout individu une fois mesuré. Cette idée préventive, voire même intimidante, est le mieux démontrée par le fait que les délinquants qui ont été mesurés craignent le danger d’être reconnus en tous temps et qu’ils évitent le pays où l’on procède à des mensurations. » (Stooss, professeur de droit pénal à l’Université, in Procès-verbal de la séance tenue à Berne le 19 décembre 1890, sur le système Bertillon.)

    La même idée avait été exprimée par le docteur Manouvrier dans la séance de la Société d’anthropologie du 11 décembre 1890, c’est à dire huit jours précisément avant la conférence anthropométrique de Berne :

    « Et, s’il est vrai, comme il est légitime de le croire, que la crainte des châtiments soit un motif capable de faire souvent équilibre aux désirs criminels, la morale publique aura tiré du système des signalements anthropométriques un plus grand bénéfice que des livres de maints moralistes de profession : Initium sapientiæ, timor anthropometri, pourrait-on dire en modifiant un peu le texte du psalmiste. »