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CAUDALE

ravages parmi les Juifs de Palestine. Les principaux sujets Je la spéculation mystique du temps g’ appellent ouvre du cliar fmaassé mercaba), par allusion au eliar d’Ezéchiel, et ravie de la création (tnaaué berétchit). L’oeuvre du char, qui est aussi le Grand-Œuvre (dtitmr gadoli, comprend les êtres du monde supra-nalniel, Dieu, les Puissances, les idées premières, <• la famille céleste », comme on l’appelle quelquefois ; l’ouvre de la création comprend la génération et la nature du monde terrestre. A l’étude de cette dernière question, il faut rattacher la question de la préexistence ou éternité de la matière première. Elle préoccupait beaucoup les esprits, parce que l’existence d’une matière première est la négation du dogme de la création ex niliilfl, qui ressort ou semble ressortir si clairement du récit de la création du monde dans la Genèse, et auquel le judaïsme a toujours été profondément attaché. Enfin, les idées messianiques, auxquelles la situation politique des Juifs donnait une nouvelle faveur, semblent avoir été un dernier sujet de méditations et de rêves. Cette science mystérieuse des causes et des origines était renfermée dans le « Paradis » sacré, et il n’y a pas de doute que beaucoup de doctrines étrangères et contraires au judaïsme, venues des Grecs, des gnostiques païens et chrétiens, avaient pénétré dans le jardin enchanté. Aussi n’était-il pas sans danger d’y entrer. Quatre docteurs y sont entrés, dit une relation : Ben Azzaï, Ben Zoma, Elisa ben Abuia et Akiba ; Ben Azzai regarda et en mourut ; Ben Zoma regarda et devint fou ; Elisa ben Abuia fit des ravages dans les plantations (tourna mal), Akiba seul entra en paix et sortit en paix. Ben Azai, nous le savons, admettait l’existence, à côté de Dieu, d’une espèce de vicaire ou de Logos très connu dans la cabbale sous le nom de M. tatron (mot qui signifie probablement : qui est après le trône de Dieu), mais qui est encore une créature subordonnée à Dieu ; Ben Azai niait la création ex nihilo, Dieu était pour lui le formateur, non le créateur du monde, et probablement il croyait que la matière première dont le monde est fait était l’eau, comme l’ont cru beaucoup d’autres docteurs, et comme on le trouve aussi dans la deuxième épltre de Pierre, III, 5. Elisa s’écria : « Il y a deux Puissances là-haut » et renia le judaïsme. Cette « eau » vient de l’eau sur laquelle plane, dans le récit de la Genèse, l’esprit de Dieu. Ce même récit a suggéré plus tard à d’autres docteurs juifs, moins hérétiques cependant qu’Elisa, l’idée des diverses autres matières premières, le souffle ou esprit, tohu et bohu et les ténèbres, la lumière. Akiba lui-même place, à coté du trône de Dieu, le trÔDe du Messie comme celui d’une seconde puissance, et l’esprit de Dieu qui plane sur les eaux devient, pour un docteur postérieur, l’esprit du Messie.

11 est évident qu’il y avait, dans ces doctrines, un danger pour le monothéisme juif. Leur éclosion, au 11 e siècle, du temps d’Akiba, coïncide avec la naissance des systèmes gnostiques des païens et des chrétiens de Syrie. Saturnin et Basilide sont de cette époque, ce sont eux qui ont perdu Elisa ben Abuia. Il n’est pas étonnant que les théories juives de Palestine aient pris des précautions contre des doctrines aussi équivoques. Sans oser condamner absolument les spéculations mystiques, qui exerçaient sur tous une espèce de fascination, ils défendirent de les enseigner en public ou de les enseigner à des personnes dont le caractère n’inspirait pas pleine confiance, et ces recommandations, qui datent déjà du n 8 siècle, en Palestine, se répètent encore plus tard, sans grand succès, à ce qu’il semble. L’attrait que la gnose exerce sur les juifs est trop fort, les docteurs les plus célèbres y cèdent plus ou moins. L’un (il. Méir, milieu du n" siècle) explique allégoriquement des passages de la Bible ; l’autre (R. José, même époque) donne si loin dans le docétisme que la révélation de la Loi sur le Sinal n’est pour lui qu’une image ou apparence ; un autre, au commencement du m* siècle, croit sans doute se faire pardonner les témérités du gnoslicisme en déclarant que le vrai instrument et auxiliaire de Dieu, dans l’<i uvre de la création, Ce lut la Loi (la loidul’entatcuque) ; pour un autre, c’est la parole de Dieu, c.-à-d. le Verbe ou Logos plnlonien. lorsque, aux ni" et r’ siècles, les écoles JUU Palestine tombèrent en décadence et que le judaïsme babylonien, au contraire (V. Bauïlonik jiivej, fonda des éi oies nombreuses et prospères, les juifs de cette légion, qui est le pays traditionnel et classique de la magie, se livrèrent sans contrainte aux spéculations mvstiques, mais en s’eflorçant, comme l’avaient fait aussi tous les docteurs de Palestine, de les accorder avec l’esprit du judaïsme. Ceux mêmes qui les proscrivent s’y livrent sans le savoir. Rab (ni e siècle, en Babylonie) soutient, d’un roté, que Dieu créa le premier jour toutes ces choses qui, chez les gnostiques juils, passaient tour à tour pour matière première et éternelle (ciel, terre, lumière, ténèbres, vent, eau, jour, nuit) et, d’autre côté, il énonce lui-même une pensée qui rappelle les idées des gnostiques les plus déterminés : « Avec dix choses Dieu créa le monde, avec sagesse, intelligence, connaissance, force, énergie, puissance, justice, droit, grâce et miséricorde. » Cela sent déjà la cabbale du moyen âge.

Le iv e et le v e siècle paraissent avoir été, pour la gnose juive, une époque de déclin et de dépérissement. Les écoles de Palestine étaient atteintes de langueur, et, en Babylonie, on était trop loin de la philosophie grecque, source directe ou indirecte du gnoslicisme juif. Les juifs de Babylonie abandonnèrent peu à peu ces hautes spéculations, mêlées de grandeur et d’extravagances, pour la magie vulgaire des peuples de ces régions, enchantements, incantations, formules de conjuration, croyances aux mauvais esprits et autres superstitions de tout genre. Cet atl’aissement de l’esprit philosophique, qui fut en partie, ici comme en Palestine, la suite de l’oppression politique, dura probablement jusqu’à la conquête des Arabes (milieu du vu* siècle). Sous leur gouvernement, les Juifs se relevèrent : c’est probablement a leur politique moins malveillante et a l’influence de leurs écoles de philosophie et de théologie qu’est due la renaissance de la littérature mystique, messianique et philosophique, chez les juifs de cette époque. Ils durent plus ou moins prendre parti et position entre l’école rationaliste et philosophique des Motambs (dont les origines remontent au vin" siècle) et les muschabbiha et autres écoles semblables qui, par opposition aux rationalistes, considéraient Dieu et le monde supra-naturel sous les formes du plus grossier anthropomorphisme. La naissance de la secte juive des Caralles, au milieu du vni e siècle (V. Caraïtes), contribua évidemment aussi à stimuler l’activité des écoles juives, les Caraites étaient portés vers la philosophie rationaliste des Motazales, d’autres sectes plus ou moins juives (V. Graelz, V, 2 e éd., p. 202 et note IX a la tin du vol.) penchaient également de ce côté, et le gros des écoles juives se rejetait naturellement de l’autre côté, dans le camp des anthropomorphistes ou des mystiques. La discipline intellectuelle à laquelle les juifs s’étaient habitués depuis plusieurs siècles, par l’étude du talmud et du midrascb, jointe à la fièvre de production due à l’inlluence et à l’exemple des Arabes, suffirait d’ailleurs à expliquer les origines et la nature de la nouvelle littérature mystique qui se produit chez les juifs et se continue, avec une étonnante activité, jusqu’au xn* siècle. On possède une foule de petits traités, des plus intéressants, dont il est le plus souvent fort difficile de déterminer la date ou la patrie, mais qui sont nés la plupart entre les mu" ou ix 6 siècles jusqu’au xii" siècle. Il est certain (pie quelques-uns d’entre eux existaient déjà au commencement du ix e siècle, entre autre* le Schiur Koma (mesure de la stature de Dieu), originaire de Babylonie, et où sont décrits, avec une minutie et une précision ridicules, la mesure et la forme du corps de Dieu, son front, ses yeux, son nez, sa bouche, ses cheveux, sa barbe et ainsi de suite. Cet ouvrage fut vite connu des juits d’Eu-