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AVOCAT

grand jury où chacun est jugé par ses pairs. » A l’appui de cette opinion, on invoque l’autorité des précédents, et on prétend que le parlement de Paris n’admettait pas l’appel devant lui en pareille circonstance. Or les anciens usages ont encore aujourd’hui force de loi au barreau, comme le déclare formellement l’ordonnance du 20 nov. 1822, art. 45. La même ordonnance n’autorise un avocat à appeler de la décision disciplinaire qui le frappe qu’autant qu’il s’agit de la peine de la suspension ou de celle de la radiation. Cette voie de recours est donc exclue dans tous les autres cas et on comprend d’ailleurs que le conseil de discipline soit juge souverain de toutes les questions où il s’agit de sauvegarder l’honneur et la dignité de l’ordre. Telle était la doctrine des avocats et, tant qu’elle eut pour défenseur le procureur général Dupin, elle fut consacrée par la jurisprudence. Mais à partir du jour où M. Dupin cessa d’occuper le siège de procureur général à la cour de cassation, un changement commença à s’opérer dans la jurisprudence ; il s’accentua bientôt, d’importantes restrictions furent admises à l’ancienne maxime et enfin on a fini par la détruire à peu près complètement. 11 n’est pas sans intérêt de montrer par quels procédés la cour de cassation et les cours d’appel ont obtenu ce résultat. On a commencé par reconnaître que le pouvoir du conseil de l’ordre des avocats n’est plus souverain lorsqu’il s’agit de la réinscription d’un avocat, lequel, après avoir quitté le barreau, manifeste la volonté d’y rentrer, et on a donné la même décision pour le cas d’un avocat qui demande à passer d’un barreau d’une cour à un autre. En pareil cas, a-t-on dit, le refus de réinscription ou l’admission au tableau porte atteinte à un droit antérieurement acquis et équivaut à radiation ; on doit dès lors appliquer l’article 24 de l’ordonnance du 20 nov. 1822 qui ouvre à l’avocat le droit d’appel à la cour contre la décision du conseil de discipline prononçant sa radiation. On remarquera que cette première jurisprudence décidait par cela même, et d’une manière implicite, qu’au contraire le conseil de l’ordre doit rester souverain pour l’inscription des stagiaires au tableau et pour l’admission au stage. Mais ensuite un arrêt de la chambre civile de la cour de cassation du 29 juil. 1867, sur les conclusions conformes du procureur général Delangle, déclara susceptibles d’appel les décisions des conseils de discipline qui refusent d’inscrire des stagiaires au tableau malgré l’expiration des trois années imposées par le règlement. Pour ouvrir la voie de l’appel, on invoquait encore le droit acquis. « Le stagiaire, disait le procureur général Delangle, est avocat, il plaide, il consulte ; s’il n’a pas des droits aussi étendus que ceux de l’avocat iascrit au tableau, il n’en est pas moins en possession d’un droit dont il devra obtenir la confirmation, à la seule condition d’avoir rempli les conditions de stage. » Dans cette doctrine, comme on le voit, le stage n’est plus une épreuve, car toute épreuve suppose le droit de rechercher si elle a été régulièrement subie sans créer aucun droit ; le stage devient une simple condition préalable à l’admission au tableau. Mais bientôt la voie dans laquelle venait d’entrer la jurisprudence s’est encore élargie et on a accordé le droit d’appel devant la cour au licencié endroit qui, après avoir prêté serment, a éprouvé un refus d’admission au stage. Le diplôme de licencié en droit obtenu par le postulant au prix de plusieurs années d’études constitue, d’après la nouvelle jurisprudence, un droit acquis au profit de ce postulant. 11 semblait que la jurisprudence, parvenue à ce point, allait établir une distinction pour déterminer l’étendue d’application de l’ancienne maxime : « Les avocats sont maîtres de leur tableau. » Elle écartait cette maxime toutes les fois qu’il s’agissait d’un droit acquis ; mais elle paraissait reconnaître aux conseils de discipline le droit de statuer souverainement sur toutes les questions touchant à l’honorabilité du candidat. La jurisprudence a en effet admis pendant quelque temps la souveraineté du conseil de l’ordre pour ces questions d’honorabilité ; mais, dès le 14 févr. 1872, la cour de cassation a

décidé que, même sous ce rapport, les décisions des 

conseils de discipline doivent être sujettes à appel. Cette jurisprudence est fondée sur deux principes essentiels : d’une part l’appel est de droit commun ; d’autre part, si les conseils de discipline étaient souverains sous un rapport quelconque, le principe de la liberté du travail serait gravement compromis en ce qui concerne la profession d’avocat. L’ordre des avocats ne saurait exister aujourd’hui avec les caractères que présentaient les corporations de l’ancien régime ; il ne doit pas constituer un monopole ni exister au profit de ceux qui exercent la profession d’avocat, mais uniquement dans l’intérêt d’une bonne justice. Aujourd’hui la profession d’avocat doit être libre sous les conditions déterminées part la loi ; si les avocats n’ont pas le droit d’ajouter à la loi ni aux règlements-, de créer des incompatibilités, ils ne doivent pas avoir davantage celui de rejeter souverainement les demandes qui leur sont adressées par des personnes réunissant les conditions légales et en raison de considérations d’honorabilité ou autres de même nature. C’est à cette solution que s’est arrêtée la jurisprudence, et on aura remarqué qu’elle est la négation pure et simple de la maxime : « Les avocats sont maîtres de leur tableau. » Ce changement dans la jurisprudence ne saurait être trop approuvé. Certains conseils de discipline s’étaient permis de véritables abus et avaient refusé d’admettre à leur tableau tels ou tels postulants par des motifs très divers et sans fondement. Ces abus ne sont plus à craindre depuis que les décisions des conseils de discipline sont sujettes à revision de la part des cours d’appel. On a prétendu, il est vrai, qu’à l’avenir des gens sans aveu pourront pénétrer dans l’ordre des avocats, mais c’est là une erreur manifeste, car les cours d’appel sont tout au moins aussi soucieuses que les conseils de discipline, de la dignité et de l’honorabilité des avocats. Il y a même plus. Les décisions des conseils de discipline ont gagné en autorité à n’être plus souveraines. On ne saurait plus en effet leur reprocher d’être entachées de partialité ou d’être parfois rendues dans un esprit égoïste. Celui qui veut se plaindre a le droit d’appel et, s’il n’en use pas, c’est qu’il reconnaît la décision bien fondée. On admet toutefois encore aujourd’hui que les conseils de discipline sont souverains pour statuer entre avocats sur les questions de rang, précisément parce qu’en pareil cas leurs décisions ne sauraient porter atteinte à aucun droit acquis. La profession d’avocat est incompatible, aux termes de l’ordonnance de 1822, art. 42, avec toutes les fonctions de l’ordre judiciaire, excepté celles déjuge suppléant ; avec les fonctions de préfet, sous-préfet, secrétaire général, avec celles de greffier, notaire, avoué, et autres officiers ministériels, avec les emplois à gages ou les fonctions d’agent comptable, avec toute espèce de négoce, avec la profession d’agent d’affaires. Cette énumération de l’art. 42 n’a jamais été considérée comme restrictive par l’ordre des avocats. C’est encore là une prétention abusive et qui aurait pour résultat, si elle était admise, de permettre aux avocats d’ouvrir ou de fermer leurs rangs de la manière la plus arbitraire. L’énumération est donc limitative, seulement il y a certaines incompatibilités qui sont implicitement et par a fortiori comprises dans l’ordonnance. Ainsi la profession d’avocat est incompatible avec les (onctions d’employé dans une préfecture, avec les fonctions de ministre ; ce que la loi dit des préfets doit a fortiori s’étendre à ces personnes. Au contraire on peut être à la fois avocat et professeur titulaire ou agrégé d’une faculté de droit. La question est plus délicate pour les conseillers d’Etat et pour les conseillers de préfecture ; on peut dire qu’ils sont chargés de fonctions judiciaires et qu’ils ne sauraient être en même temps avocats. Mais on a cependant prétendu en sens contraire que l’ordonnance de 1822 a voulu créer une incompatibilité seulement pour les magistrats de l’ordre judiciaire. On discute aussi sur le point de savoir si les ministres des divers cultes, et d’une manière plus générale les clercs, peuvent être avocats. La