Page:Bernier - Ce que disait la flamme, 1913.djvu/437

Cette page a été validée par deux contributeurs.

quelques semaines, il fut tellement broyé, tellement idiot, que le courage lui déserta les veines. Quand elle revint, l’ambition le pénétra davantage, l’apaisa, le captiva, l’empoigna tout entier. Bientôt se noua entre le succès et lui l’intime lien fidèle, obsédant, que rien ne pouvait détruire…

Les premiers sourires lointains de la richesse brillent en sa mémoire, il a défailli sous l’ancienne torture, il a blêmi d’un chagrin sincère, mais le défilé des spéculations hardies et des triomphes requisse en lui, l’éblouit, le hante, l’affole. Toute la volupté d’avoir anéanti les obstacles, entassé les gains, construit le million, de vouloir les autres millions et d’en être sûr lui allume le sang, lui afflue au cerveau qu’elle exalte. Devant la vision vaste de son orgueil, tout le reste s’efface : devant la conscience aussi aiguë d’être puissant et magnifique, rien d’humain n’égale son énergie, sa constance et sa fierté de lui-même. La véhémence habituelle de sa vanité l’inonde, irrésistible, absolue. Jean est un rêveur absurde : on a changé d’os et de chair, on n’appartient plus au peuple, quand on le dépasse ainsi, quand on le sent, esclave et misérable, si loin au-dessous de soi ! L’image de l’épouse lui apparaît encore, mais différente, agrandie, étincelante de l’auréole qui l’enveloppe lui-même. Si la compagne des années rudes leur avait survécu, ne divise-