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TRIPLEPATTE

qui en ont beaucoup et qui n’arrivent à rien. C’est que la chance y est aussi pour quelque chose. Moi, les circonstances m’ont favorisé. Et qui sait ? Si j’avais eu plus de volonté, j’aurais peut-être gêné le hasard. La volonté des hommes contrarie souvent la bonne volonté du destin. Je n’ai pas de volonté, mais j’ai une assez grande force de résistance… Je suis gros… j’ai eu besoin de cette force-là dans mon ménage. Je me suis marié avec une brave femme…

LA BARONNE.

Oh ! oui, une brave femme…

HERBELIER.

Oui… Je l’aime beaucoup… Mais elle est d’une énergie terrible… et inutile ! Je lui dois, avec des moments heureux, les seuls instants désagréables de mon existence. J’ai l’air de faire ce qu’elle veut, parce que la plupart du temps ce qu’elle veut ne me paraît pas plus mauvais qu’autre chose ; mais, quand je vois avec évidence qu’elle a tort, ma faiblesse, ma faiblesse lourde oppose à sa volonté une inertie admirable. Je suis comme ces vieux gros chevaux d’une docilité exemplaire et qui se laissent conduire où l’on veut. Seulement, quand on veut les faire passer sur un sol mouvant et dangereux, ils s’arrêtent, ils s’attachent au sol de toute la force de leur grosse croupe. Alors on n’insiste pas !… Voilà !

LA BARONNE.

Vous êtes un philosophe, monsieur Herbelier ?