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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

porte le lieu ou l’heure ! Quelquefois… quelquefois… la nuit… À deux pas de ce gros homme qui ronfle, seule… seule dans ma petite chambre la nuit… Moi que tous accusent (m’accuser de quoi, je te demande ?) Je me lève… j’écoute… je me sens si forte ! — Avec ce corps de rien du tout, ce pauvre petit ventre si plat, ces seins qui tiennent dans le creux des mains, j’approche de la fenêtre ouverte, comme si on m’appelait du dehors ; j’attends… je suis prête… Pas une voix seulement m’appelle, tu sais ! Mais des cent ! des mille ! Sont-ce là des hommes ? Après tout, vous n’êtes que des gosses — pleins de vices, par exemple ! — mais des gosses ! Je te jure ! Il me semble que ce qui m’appelle — ici ou là, n’importe !… dans la rumeur qui roule… un autre… Un autre se plaît et s’admire en moi… Homme ou bête… Hein, je suis folle ?… Que je suis folle !… Homme ou bête qui me tient… Bien tenue… Mon abominable amant !

Son rire à pleine gorge se brisa tout à coup et, le regard qu’elle tenait fixé sur les yeux de son compagnon se vidant de toute lumière, elle resta debout par miracle, semblable à une morte. Puis elle plia les genoux.

— Mouchette, dit gravement l’homme de l’art, qui s’était levé, une dernière fois, ton