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L’IMPOSTURE

tement perdu le désir — ou le courage — de se voir en face.

Cette dissimulation peut surprendre d’un garçon à peine sorti de l’enfance. À ne vouloir rien dramatiser, il est permis de croire que le malheureux ne connut qu’à la longue la perfide et pleine possession de son mensonge. Courtes délices, vite dévorées ! Car lorsque ce mensonge est total, embrasse toute la vie, règle chaque pensée, aucun repos n’est à prévoir sur la route aride et fatale. L’œuvre chaque jour défaite est à commencer chaque jour. Jusqu’au moment où l’être double atteint son point de perfection, son horrible maturité, connaît qu’il n’y a plus de place pour lui sur la terre, et va se dissoudre dans la haine surnaturelle dont il est né.

Car si désireux qu’on soit de trouver une cause naturelle à ces tragiques aberrations, comment justifier leur raffinement, ce je ne sais quoi d’inutile, de superflu, qui révèle un goût lucide, une lucide délectation ? Comment imaginer, par exemple, que l’élève du séminaire de Nancy qui s’astreignait, non pas en apparence, mais réellement, aux pratiques les plus élevées de la vie spirituelle, n’en tira jamais profit ? Sans doute il refusait son consentement intérieur, ne livrant que cette part superficielle de l’âme qui s’appelle l’intelligence, l’attention. Mais comment ne fut-il pas tenté d’aller plus loin, d’accorder à Dieu quelque chose de plus — un seul acte d’amour, au moins de bonne volonté — lorsque le champ remué n’attendait plus que la semence, un seul grain ! Il est vrai que sa nature est d’une étonnante sécheresse, et qu’on comprend à demi pourquoi son orgueil s’effrayait d’abandonner