Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/87

Cette page a été validée par deux contributeurs.
77
L’IMPOSTURE

cœur s’était fermé, ne s’ouvrirait jamais plus. Il n’est pas si rare de rencontrer dans les séminaires de ces enfants précoces et volontaires qui, dirigés vers le sacerdoce par l’illusion ou parfois l’aveugle vanité de leurs proches, n’ont plus le courage de se dégager, finissent par en accepter les obligations comme on se résigne à celles d’une carrière ordinaire. Au moins sont-ils des prêtres médiocres, presque tous aisément reconnaissables, l’équivoque de leur triste vie rachetée par les inquiétudes, les soupçons, tout le pathétique des vocations manquées… Mais celui-ci ne ment pas à demi, n’a jamais menti à demi.

D’ailleurs, n’était ce mensonge absolu, sans réserves, totalement accepté, le courage lui eût fait défaut de tenir bon, car il a des passions fortes. Sans doute eût-il été chassé des abords, s’il ne s’était retiré au centre même de la forteresse. Trop fier pour se contenter des seules apparences, trop fin pour n’en pas reconnaître la fragilité, il avait contraint jusqu’à son âme. En le voyant jadis suivre avec assiduité, ferveur même, les exercices de la double retraite annuelle, qui eût osé l’accuser de duplicité, l’étrange enfant y mettant la conscience, le scrupule d’un ouvrier passionné pour sa besogne, qui travaille pour son propre contentement ? Lorsque l’abbé de Saint-Genest l’observait, au cours de la méditation quotidienne par exemple, grave, les sourcils froncés, le regard braqué, pris d’un doute s’il le priait parfois brusquement de vouloir bien retracer pour lui les grandes lignes de la réflexion qui l’avait ainsi absorbé, il répondait sans hésitation, avec une évidente sincérité. C’est qu’en effet son attention ne s’était pas détournée une minute