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L’IMPOSTURE

puis avec colère, ne ressemblait pas à l’autre rire, n’avait pas du tout le même accent. Il s’arrêta.

Que n’eût-il donné, bien qu’il craignît toujours la folie, pour douter de lui en cet instant, de ses sens, pour croire à une hallucination de l’ouïe, par exemple, les hallucinations dont les critiques hagiographes font la part si large ! Mais on ne connaîtrait rien à la crainte dont il était alors torturé, si l’on supposait un moment qu’une telle équivoque fût possible. Il savait déjà que ce rire humiliant manifestait simplement au dehors une réalité certaine, copieuse, une vie concrète, à laquelle il avait toujours souhaité de rester étranger. Incapable de nier l’évidence, il en était à retarder seulement l’inévitable éclat.

Certaines formes particulières du renoncement échappent à toute analyse parce que la sainteté tire d’elle-même à tout moment ce que l’artiste emprunte au monde des formes. Elle s’intériorise de plus en plus, elle finit par se perdre dans les profondeurs de l’être. Des actes aux mobiles, nous ne saisissons plus les rapports, et le contact une fois perdu ne se retrouvant point, à mesure que les faits observés rentrent plus étroitement dans l’ordre logique qui leur est particulier, ils nous paraissent au contraire se délier ou comme se dissoudre dans l’absurde. Pour renouer le fil rompu il faudrait nous élever nous-mêmes, et par impossible, comme d’un bond, au but sublime entrevu par le héros dès le premier pas de son ascension, but que son âpre et patient désir a par avance possédé, qui est l’unité profonde de sa vie.

La vie de l’abbé Cénabre a aussi sa clef : une hypocrisie presque absolue.