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L’IMPOSTURE

Mon Dieu ! je vous vois terriblement, et tout me manque ! Comment veut-il que je me fasse connaître de vous ? Il le sait ; j’eusse tout préféré, tout, le sacrifice même de ma pauvre vie à l’aveu que je dois vous faire, à l’humiliation de proférer devant vous une parole si incroyable ! Regardez-moi. Il faut que je ne perde rien de cette honte, il faut que je la donne pour vous tout entière… Je ne puis vous fournir aucune preuve de ma mission, rien que ma parole, rien que mon misérable serment. Je jure ! Je vous jure que l’Esprit m’inspire ceci ! Je jure que vont m’êtes ouvert ainsi qu’à une mère le regard de son enfant. Je vous vois ! Je vois périr votre âme ! Cette révélation est faite à un vieux sot, incapable d’en tirer parti. Mon Dieu ! je ne puis qu’en témoigner, et en témoigner encore, avec la certitude de mon impuissance, avec une rage désespérée !

Aucune fermeté n’eût pu soutenir le spectacle que l’abbé Cénabre avait en ce moment sous son regard. Certes, la fureur sacrée de son débile adversaire lui était devenue incompréhensible, et le moindre secours venu du dehors lui eût rendu assez de force ou de sang-froid pour en sourire. Mais quelque chose remuait en lui à l’écho d’une voix familière, la dernière qui lui parlait ce langage, et c’était comme un pressentiment, d’une amertume ineffable, que jamais, plus jamais – jamais ! – il ne connaîtrait cette surnaturelle pitié, car il ne la désirerait jamais plus.

Et peut-être déjà même, au plus secret de son cœur, il la haïssait.

— Mieux, mille fois mieux vaudrait pour vous la