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L’IMPOSTURE

sur moi leur ressemblance. Hélas ! la charité nous peut unir et confondre en un même cœur, mais l’univers intellectuel est une solitude claire et glacée… Oui, l’intelligence peut tout traverser, ainsi que la lumière l’épaisseur du cristal, mais elle est incapable de toucher, ni d’étreindre. Elle est une contemplation stérile.

Sa voix eut ici un léger frémissement d’impatience, et sur les derniers mots, perdit tout à fait son aplomb.

— D’ailleurs, pourquoi ce discours ? Vous devez le trouver sot. Il l’est, puisqu’il est vain. De ce moment, je ne raisonne plus. Je veux que ma vie soit simple, régulière, quotidienne. J’entends que nul ne sache, pour sa propre inquiétude ou son scandale, la tentation où vous m’avez vu près de disparaître si lâchement. Nul ne saura ce que je souffre : je tâcherai de l’oublier moi-même. Je ne renierai point le passé, sinon secrètement, car les actes n’en furent pas répréhensibles, mais peut-être les mobiles ou les intentions… Pourquoi risquerais-je de troubler le prochain ? Je reprends ma vie au point où je l’ai laissée, à la dernière étape, tranquillement (si je puis !), fermement, ainsi qu’on redresse un sillon… Non ! je n’ai pas perdu la foi ! Cela n’est point ! J’étais fou ! J’allais seulement oublier que l’abstention n’est pas vertu, qu’il y faut encore l’élan de l’âme, la recherche passionnée, le grand cri vers le Père, le cri de douleur et d’appel, une espérance indomptable… Que parlez-vous encore de tout bouleverser ? Si je suis ici ou là, qu’importe ? Notre attitude est de peu, et d’ailleurs vous tomberez d’accord avec moi qu’à cette place où l’on me voit, il y a des convenances à garder… C’est du