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L’IMPOSTURE

plus sur l’épaule ; il fit sans doute pour ne pas fuir, un effort douloureux ; son corps, si étrangement humilié, parut comme tassé par une crainte aveugle… Et tout à coup, au plein de sa ridicule détresse, ce cri lui fut encore arraché :

— Non ! je ne puis me prêter à cette illusion sacrilège !

Aussitôt, il mendia du regard un impossible appui, mais rencontrant les yeux de l’abbé Cénabre fixés sur lui avec une sollicitude presque tendre, il eut un mouvement de recul si spontané, si farouche, que le rouge monta au front du chanoine.

— Avez-vous peur de moi ? dit-il doucement.

Son sang-froid retrouvé, il ne doutait plus de l’imprudence inouïe qu’il avait commise en affolant, comme à plaisir, ce prêtre dont il connaissait pourtant l’âme. L’auteur de la Vie de Tauler n’est point homme à subir aisément la duperie d’une force matérielle, et la plus violente colère l’eût à ce moment moins effrayé que les signes de cette panique où son expérience subtile discernait la révolte absolue, irrésistible, d’un cœur impossible à soumettre. Le mépris peut être soutenu, on fait sa part à la haine, on peut prendre à revers, par un détour, une indignation qui fonce, mais ce bonhomme irréductible allait lui échapper à jamais.

Un mot de plus, et c’en était fait : il avait pour toujours ce juge obscur, confident d’une heure, reperdu dans la foule, mille fois plus dangereux dans son obscurité même, désormais insaisissable. Sans doute, la naissante réputation du confesseur des bonnes ne lui conférait encore qu’une autorité assez mince et sur un