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L’IMPOSTURE

protestation désespérée, mais il se reprit presque aussitôt, et baissa les yeux sans répondre. À ce double geste, l’abbé Cénabre répondit en dessous par un regard dur.

— J’ai besoin que vous consentiez à être cette nuit mon témoin, fit-il brusquement.

L’étonnement fit trembler la voix du pauvre prêtre.

— Je ne comprends pas… Je ne saisis pas… dans quelle mesure je puis vous être nécessaire… ou seulement utile… et qui pourrait prendre au sérieux… en faveur d’un homme tel que vous… une caution si misérable. Au moins, je puis parler franchement à un confrère, lui ouvrir mon cœur… Cette conversation… aujourd’hui… cette nuit… Je souhaite ne pas vous offenser en la qualifiant d’un peu extraordinaire… surprenante même… Cet entretien, quelle qu’en soit la conclusion, vient après… à la suite d’autres circonstances… non moins inattendues… qui peuvent paraître, en quelque sorte… un piège… oh ! du diable ! s’écria-t-il avec une étonnante naïveté.

Il réfléchit un moment, sous le regard toujours dur.

— J’aurai tout à l’heure à vous entretenir sans doute de la confiance dont m’honore une personne admirable… exceptionnelle… faite pour m’édifier, dont je n’aurais plutôt à recevoir que des leçons… Mlle Chantal de Clergerie (sa voix ne tremblait plus). J’assiste avec une espèce d’épouvante — véritablement avec terreur — à l’ascension vers Dieu, vers les plus hautes cimes de la contemplation, d’une âme assurément visitée par le Saint-Esprit, déjà hors de nous… Ah ! je sais à qui je m’adresse ! Je n’ai pas beaucoup le temps de lire — je lis peu — mais je n’ignore pas