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L’IMPOSTURE

follement, comme un présent de nul prix. L’espérance, après tout, c’est la parole divine, et la parole divine est à la fois suave et terrible. J’ai trop souri à la mort, ainsi qu’à tout le reste : il est juste que je voie aujourd’hui son vrai visage. Je l’ai vue. Je l’accepte ainsi, telle que vous me l’avez montrée : je la reçois véritablement de votre main… Et maintenant… Et maintenant… comment vous dire ?… Maintenant je vous supplie de n’être plus qu’heureux… heureux comme j’étais heureuse, ce matin, en vous regardant dormir, si calme, déjà hors de notre présence, à moitié dans l’ombre et à moitié dans la lumière. Ne vous détournez pas de moi ainsi, pour toujours, sur une dernière parole de tristesse. M’entendez-vous ? Après Dieu, c’est à vous que je devais ma joie, vous dis-je. Reprenez-la. Daignez la consommer tout entière, d’un seul coup, seulement pour franchir ce petit passage. S’il vous plaît de me laisser dans le doute, ne m’épargnez pas. Mais s’il est vrai que… par impossible… vous ayez besoin de moi, il me semble que je trouverais le moyen de vous être utile, peut-être… si vous vouliez du moins… Le voulez-vous ?

Il fit signe qu’il ne pouvait parler, porta peu à peu la main jusqu’à sa bouche, l’appela sa fille du même regard impérieux. Alors, d’un coin du drap, elle essuya les lèvres collées par l’écume, pressa légèrement les doigts sur les mâchoires contractées.

— Il ne vous est pas bon de me regarder mourir, dit-il enfin. Cela ne vaut rien. Cela ne vaut rien du tout. Allez-vous-en !

— Je m’en irai donc ! dit-elle. Ne parlez plus. Réservez un peu vos forces. Nous avons fait deman-