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L’IMPOSTURE

— Bénissez-moi du moins, dit-elle. Cela vous fera du bien. Bénissez-moi comme vous l’avez fait tant de fois, une fois encore, une fois pour toujours.

Elle sentit les doigts glisser de sa tête à la nuque, sans plier, comme cinq petites spatules de bois.

— Taisez-vous, souffla le moribond. Vous ne pouvez me tirer d’ici, ni vous, ni les autres. À quoi bon ? Il est dur de mourir, ma fille.

— On ne meurt pas volontiers, ajouta-t-il, après un silence.

Elle essaya encore bravement de sourire, les yeux pleins de larmes.

— Vous ne m’avez pas bénie, dit-elle. Me refuserez-vous cela aussi ?

— Que vous importe ? répondit-il sèchement, d’une voix soudain raffermie. Quel prix pouvez-vous bien attacher à la bénédiction d’un homme qui ne sera plus demain que de la terre ? Pourquoi ne me laissez-vous pas finir en paix ? Qu’auriez-vous à me donner, ma fille ?

— Je voudrais vous donner ce que j’ai, dit-elle doucement, ce que vous aimiez si fort, et dont je n’ai plus besoin maintenant — je n’en aurai jamais plus besoin, jamais — ma joie, ma pauvre joie qui vous plaisait. Je vous ai toujours obéi sans peine, comme vous désiriez l’être, avec allégresse. Et après tout, il est bien possible que cette allégresse fut vaine, mais quoi ! N’est-ce pas vous qui vous étonniez un jour des grandes choses que Dieu sait tirer pour lui seul du rire d’un petit enfant ?… Peut-être est-il bon aussi que j’apprenne à ménager la merveilleuse espérance dont je croyais la source intarissable, que je prodiguais sans y songer,