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L’IMPOSTURE

une lassitude extrême, un alanguissement comparable à celui qui précède le réveil.

L’un de ses bras étendus reposait mollement, il sentait sur l’autre, à la hauteur du coude, la pression d’une main frémissante, et laissant alors retomber sa nuque, il s’aperçut qu’il était couché sur le dos.

— Cénabre ! dit-il doucement, Cénabre !

De la silhouette noire, il ne voyait plus qu’une ombre vague et décroissante, à peine distincte de la pâle lumière qui allait s’élargissant au mur. Puis cette ombre même se dédoubla, et il referma un instant les yeux pour ne pas suivre son cheminement bizarre à travers la pièce où s’éveillait peu à peu le murmure de la vie.

— C’est tout ce que je peux faire : n’en demandez pas plus, fit une voix lointaine qui semblait suspendue dans le vide. Je pense qu’il gardera maintenant sa lucidité jusqu’à la fin.

L’écho de ses dernières paroles se prolongea longtemps, parut s’éteindre pour se ranimer encore, jusqu’à se confondre dans une autre rumeur plus vaste, où finit bientôt par ne plus tinter qu’une seule note, une vibration un peu monotone, mais d’une inexprimable pureté, qui acheva de se perdre elle-même dans la réelle lumière du matin… La chambre tout entière venait d’émerger d’une brume bleue, pareille à une eau impalpable, aérienne, dont le regard atténué du moribond recueillit toute la fraîcheur avant de se poser, à regret, sur les choses familières, et il le retourna aussitôt, avec une plainte déchirante, vers le gouffre limpide de la fenêtre grande ouverte. Alors seulement, quand il eut dilaté une dernière fois sa poitrine, il