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L’IMPOSTURE

ou du pire. Ce que Dieu refuse est superflu. Ce qui est donné suffit… Déjà il est debout, au bord du trottoir, face au chauffeur interdit.

— Qu’est-ce que je vous dois ?

— Onze cinquante, monsieur. Tarif de nuit.

— Ah !

Le trottoir a l’air de s’enfoncer sous ses semelles, la rue commence à virer lentement de droite à gauche, puis se balance imperceptiblement sur place, comme un navire retenu par ses ancres… Onze cinquante !… Du bout de ses doigts gourds, il tâte au creux de son porte-monnaie, avec une hâte fébrile, il additionne mentalement des nombres et des nombres, sans espoir, pour gagner du temps… Ah ! s’il pouvait seulement, se recueillir une seconde, la tête entre ses mains ?

— Tenez, mon ami, fait-il en tendant sa bourse. Payez-vous ! Je n’y vois plus…

Rien de pis que ces formes convulsives ! répond la voix, mais lointaine, comme entendue à travers la cloison. Ne vous affolez pas ! Je reviens.

Revenez ! hurle à tue-tête l’abbé Chevance. Faites appeler l’abbé Cénabre ! Je le veux ! Il viendra ! Je veux… j’exige !

Mais le chauffeur rejoint sa voiture, à pas mesurés, sans l’entendre, et le pauvre prêtre est bien honteux d’avoir crié si fort. Qu’a-t-il crié même ?… Il ne s’en souvient pas.

Encore un long moment, il resta immobile, à la même place, de l’air d’un homme qui s’oriente avant de prendre parti, mais surveillant du coin de l’œil le lent démarrage de la voiture. Sa détresse était telle