Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/288

Cette page a été validée par deux contributeurs.
278
L’IMPOSTURE

Le haricot fumait sur la nappe. Le réveil-matin tombé dans la ruelle, y battait aussi bêtement que jamais. Déjà elle regagnait le seuil à reculons, les yeux baissés, lorsque le plus naturellement du monde, le mort se souleva sur ses coudes, tourna lentement, puis réussit enfin à s’asseoir.

— Quelle sotte aventure ! bredouillait-il… J’ai glissé sur le carreau sans doute… fait un faux pas ? Je vous demande pardon.

— Glissé sur le carreau, ah la la ! dit Mme de la Follette, vexée. Avec ça que vous avez la mine d’avoir fait un faux pas, peut-être ? Je voudrais que vous vous regardiez dans la glace : vous ne savez pas encore où vous êtes, malheur !

— Mais si, je le sais, je le sais très bien, répliqua M. l’abbé Chevance, avec un peu d’aigreur. Croirait-on ? Ce n’est qu’un étourdissement, tout au plus. Je n’ai pas perdu connaissance une seconde : je me suis très nettement senti tomber.

— Entendu ! fit la concierge : tâchez de le croire si vous pouvez. Pour moi, vous vous en êtes allé de faiblesse, faut vous refaire du sang. Mangez toujours, tant que c’est chaud.

Il s’était mis debout et remuait douloureusement la tête, le regard ivre. Enfin, il gagna la table à petits pas, saisit une chaise de sa main pesante et s’y laissa brusquement glisser, un terrible sourire aux lèvres.

— Voilà, voilà ! disait-il de sa voix docile. Je vous remercie, madame de la Follette… Je crois nécessaire de réparer… réparer… réparer mes forces. Le jour baisse, madame de la Follette… le jour baisse terriblement… Je n’y vois plus guère, madame de la Follette.