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L’IMPOSTURE

— Cela est bel et bon, dit-il encore. Mais vague, bien vague… Non ! ce n’est pas une règle de conduite ! Je te fais d’ailleurs remarquer que tu n’as pas répondu aux questions que je t’avais posées.

Il leva la tête, siffla rêveusement.

— Note bien que j’approuve… j’approuve ce qu’il est possible d’approuver. Seulement, j’appartiens — grâce à Dieu ! — à une génération qui a prouvé plus loin qu’aucune autre la perfection des méthodes de mesure, d’analyse, de contrôle. Je ne suis pas l’ennemi du surnaturel, j’entends rester même un catholique irréprochable, et pourtant je crois fermement qu’à quelques exceptions près (dont l’ensemble constitue le fait miraculeux, jusqu’à présent irréductible) nous restons, toi, moi — nous tous — dans la dépendance étroite des circonstances et des conjonctures, et ton rêve d’acceptation pure et simple m’apparaît irréalisable. Je doute fort qu’il ne t’apparaisse ainsi à toi-même, que ton attitude ne soit forcée. Allons donc !

Il frappa légèrement de la paume sur le bord de la table.

— Tu ne me feras pas croire que tu fasses si aisément le sacrifice… le sacrifice de ton directeur par exemple ?

— Pourquoi ? dit-elle. Oh ! vous m’avez mal entendue… Vous parlez de sacrifice : je n’en suis pas encore là, voyez-vous. Je ne saurais sacrifier personne. Vous me prenez trop au sérieux, papa, voilà le mal. Il m’en coûte si peu d’obéir que je suis bien forcée de croire que mes peines valent ce que je vaux, qui ne vaut rien. Je ne sais pas souffrir, j’en ai honte. Peut-être n’apprendrai-je jamais ?