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L’IMPOSTURE

bien ! je ne suis pas une grande âme. Comme disait ce vieux pauvre impayable que j’ai rencontré un jour :

— « Moi, ma vocation est de recevoir. » Il me faut si peu pour vivre ! Alors, je me tiens sagement sous le porche de l’église, je tends la main au bon Dieu, je pense qu’il y mettra bien toujours deux sous…

— C’est très joli, riposta froidement M. de Clergerie. Cela mène tout droit chez les Clarisses.

— Chez les Clarisses ! s’écria-t-elle en riant. Seigneur ! Où prenez-vous que je puisse être jamais Clarisse, ou seulement Carmélite !

Il passa nerveusement ses doigts dans sa barbe.

— Je ne te contredirai pas, fit-il, pas du tout. Je te crois une piété solide, éclairée même, néanmoins très calme, très raisonnable. Raison de plus pour ne pas emprunter si légèrement aux mystiques une règle de vie faite pour eux.

— Hélas ! (tout son visage frémissait de joie) je n’emprunte que ma part, la part du mendiant, vous avez mille fois raison. Ai-je l’air d’une jeune personne à rechercher l’humiliation, la pauvreté, l’obéissance ? Je n’irai jamais au-devant d’elles, rassurez-vous. Je mourrais de peur dès le premier pas. Ce que vous appelez ma sérénité, mon allégresse, c’est justement cette certitude de n’être bonne à rien, et aussi l’espoir d’être au dernier jour jugée comme telle, de bénéficier d’un traitement de faveur. Je ne veux pas me défendre. Voyez mon chien Tabalo : que je fasse mine de courir dessus, il se sauve. Que je le poursuive réellement, il se met tout de suite sur le dos, les pattes en l’air. Voilà. Je ne me défends pas. Je voudrais que Dieu n’en demandât pas plus. Je ne défie personne,