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L’IMPOSTURE

établissement, par exemple, supposons qu’il me soit posé certaines questions… très simples… je n’y pourrais répondre. Quelle espèce de femme seras-tu ? Bien malin qui le dirait. Tu te plais dans ta maison, soit ! tu parais plutôt casanière. Mais si je t’annonce demain notre départ pour les Indes ou le Canada, tu en recevras la nouvelle, je le parie, avec le même sourire content. Aimes-tu le monde ? Ne l’aimes-tu pas ? Ceci est encore un problème : je ne l’ai pas résolu. Tu y montres une vivacité, une sensibilité charmantes : juste assez pour plaire, pas assez pour que je sois sûr que tu t’y plaises réellement. Tu es fidèle à tes amis, jusque dans les petites choses, jusqu’au scrupule. Et pourtant tu ne parais pas souffrir de leur abandon, tu te laisses tromper avec bonne humeur, pour ne pas dire avec une naïveté déconcertante. Quelquefois la volonté se dénonce brusquement, comme par éclairs, puis elle reprend aussitôt sa place, docilement, dans le cours paisible de ta vie. Où va-t-elle ? Où la caches-tu. Car tu la caches. Il faudrait être aveugle, il faudrait ne t’avoir jamais vue pour douter que tu ressembles à ta pauvre mère, que tu as le même cœur, la même passion… Je te regarde aller et venir avec un pressentiment si douloureux ! Oh ! tu n’es pas de celles, je le sens bien, qui évitent l’obstacle, ou au moins savent le tourner. Sur quel obstacle te briseras-tu ? Je me le demande… Ne pleure pas, Chantal ! s’écria-t-il tout à coup. Je suis un pauvre homme !

Elle ne pleurait pas, bien que sa bouche tremblât de fatigue.

— Mais je ne pleure pas ! fit-elle en tâchant de rire. Je voudrais tant vous contenter ! Seulement vous