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L’IMPOSTURE

— Je n’en terminerai avec vous que plus commodément, répondit le prêtre. Votre présence a été l’occasion de tout ceci, non sa cause. Votre disgrâce n’est que de vous trouver devant moi, à cette heure, aujourd’hui.

Il respira bruyamment, et quand il eut ainsi gonflé sa poitrine, le sang parut de nouveau se retirer de ses joues et de son front. Il resta d’une pâleur livide.

— Telle heure sonne, mon enfant, poursuivit-il, où la vie pèse lourd sur l’épaule. On voudrait mettre à terre le fardeau, l’examiner, choisir, garder l’indispensable, jeter le reste. Retenez cette confidence, puisque je la fais tout haut, devant vous. Je tenterai ce choix. Il le faut. Je suis prêt.

Il se tut brusquement, laissa tomber la tête. Puis soudain :

— Allez-vous-en ! Allez-vous-en ! s’écria-t-il par deux fois, avec une extraordinaire violence.

Tout autre que Pernichon eût sans doute obéi, mais sa maladresse porte le tragique en puissance. D’ailleurs un sort navrant le place toujours là où il ne doit pas être, et l’y tient jusqu’au complet épuisement, utilisation parfaite du ridicule ou de l’odieux.

— Je regrette d’avoir été la cause involontaire… commença-t-il.

— Cause de quoi ? pria doucement l’abbé Cénabre. Je vous le dis : vous n’êtes cause de rien. Pourquoi vous humilierais-je gratuitement ? Entendez néanmoins cette parole : le monde est plein de gens qui vous ressemblent, qui étouffent les meilleurs sous leur nombre. Qu’êtes-vous venu faire dans notre bataille d’idées ? Vous la quitterez sans regret, avec un petit profit.