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L’IMPOSTURE

âme entre toutes prédestinée, l’orgueil et l’ambition avaient établi trop tôt leur empire, la volonté infléchissable avait moins vaincu que refoulé, rejeté dans l’ombre, les fantômes. Tous les coins obscurs grouillaient d’une vie féroce, embryonnaire — pensées, désirs, convoitises à peine évoluées, réduites à l’essentiel, au germe endormi mais vivant. Et ce petit peuple monstrueux, soudain tiré des limbes de la mémoire, s’avançait en chancelant au bord de la conscience, aussi difficile à reconnaître et à nommer que ces nains quinquagénaires, sans âge et gans sexe, obsession de peintres hantés.

L’homme qui voit se relever dans l’âge mûr, ou la vieillesse, la brutale adolescence, sait du moins à quelle sorte d’ennemi il a affaire, et quelle est sa force. Au lieu que le misérable prêtre ne rencontrait rien devant lui qui pût être saisi à bras-le-corps, et terrassé. À vrai dire, il n’avait été jusqu’alors nullement tenté, ou sa tentation avait le vague et l’indéterminé des curiosités de l’enfance. Cette part si sensible de notre être, si découverte, la première touchée, et dont les réactions profondes, si toutefois notre raison osait en tirer parti, nous mettraient le plus souvent en garde contre les entreprises plus poussées et plus perfides du mal, la chair, restait chez lui froide, indifférente. On sait que son immense orgueil, plus encore que sa vie laborieuse, avait depuis longtemps comme frappé de stupeur, engourdi sa sensualité. Elle se réveillait pourtant. Et le premier signe de ce réveil fut aussi peu aisé à interpréter, non moins obscur. Alors qu’il s’était si souvent flatté jadis de ne laisser jamais ses plus hautes facultés sans exercice, tou-