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L’IMPOSTURE

négateurs anxieux, bourrelés, est de n’avoir libéré que leurs cerveaux, tandis que la croyance n’en finit pas de se survivre et de se corrompre lentement aux replis les plus secrets, les moins faciles à atteindre, de leur sensibilité. Une telle contradiction, et si réservée, si profonde, les exerce d’autant plus cruellement qu’ils ne sauraient se faire d’elle une idée claire, ni l’exprimer, sinon par les vains et puérils bégaiements de la haine. Ils ne participent plus à une foi dont ils demeurent les esclaves écumants. Qu’importe s’ils pensent l’avoir tuée ? — « Ils restent liés à un cadavre, » disait d’eux, avec mépris, l’abbé Cénabre. Car il s’était flatté de croire qu’il n’aurait jamais, avec ces misérables déclassés, rien de commun, et pour échapper lui-même, en quelque mesure, au sentiment de sa propre solitude morale, il se rassurait en pensant que le nombre était sans doute grand dans l’Église de ceux qui lui ressemblaient, âmes vigilantes et fortes, capables de tenir un secret, inflexibles.

C’est alors que son orgueil avait reçu le coup le plus dur.

Chose étrange, incroyable ! L’équivoque renaissait, mais plus subtile, plus perfide. En vain cherchait-il à se convaincre, par d’irréprochables arguments, qu’ayant décidément renoncé une certaine discipline intérieure, devenue inutile, Son intérêt comme sa dignité lui commandaient d’y conformer néanmoins sa vie. La contrainte qui lui avait paru jusque-là si légère, en si parfait accord avec son goût de l’ordre, de la respectabilité, du travail, il l’endurait avec peine, il tentait d’y échapper sournoisement. Ç’avait été d’abord de ces petits manquements volontaires qui