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L’IMPOSTURE

tuel des histoires attendrissantes, et il parlait à présent d’abondance, se dégradait comme à plaisir, avec une sorte de coquetterie obscure, un cynisme dont l’absurde et puéril mensonge eût crevé le cœur le plus dur. — « Le frère rigole en dedans, » se disait-il pour s’encourager entre deux hoquets de son affreuse joie. Et il continuait à faire l’espiègle, recru de sommeil, cramponné à son rôle, ainsi qu’une fille exténuée joue les vicieuses. — « Ah ! la rosse ! pensait-il. Si je l’embête, je suis foutu ! Il y a des types comme ça. J’en ai connu. »

D’ailleurs l’abbé Cénabre laissait paraître, sinon son plaisir, au moins quelque intérêt, l’encourageant parfois d’une réponse brève, d’un vague sourire furtif, dont le misérable se régalait. Ils descendaient les quais d’un pas un peu ralenti, vers la lointaine gare du P.-L.-M. et ils voyaient cligner dans le brouillard son œil énorme. L’aiguille avait déjà dépassé minuit, et l’auteur de la Vie de Tauler ne se décidait pas encore à rompre une fois pour toutes avec son singulier compère. Le hideux babil accompagnait, s’accordait non sans douceur à sa propre méditation, et il eût volontiers pris cette douceur pour de la pitié bien qu’il n’eût jamais été, à aucun autre moment de sa vie, moins capable de pitié. Mais la sévère contrainte qu’il exerçait depuis tant de jours contre lui-même venait de se relâcher à son insu ; il goûtait ce que l’orgueil à la torture recherche avec avidité, le court et précaire rafraîchissement de la honte. Car l’humilité n’est point, ainsi que la définissent les sots, un bien seulement céleste, fait pour les hommes divins. La nature déchue qui la hait ne saurait néanmoins en