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L’IMPOSTURE

— Pour la raison que j’ai dite ; j’y avais été poussé par Mgr Espelette…

— Je m’en doutais ! s’écria M. Guérou. Cela donne la mesure de son bon sens… Vous avez connu l’abbé Dardelle ?

— Non, monsieur, dit Pernichon.

— Il vous ressemblait ; je crois l’entendre. C’était un de ces faibles de la pire espèce de faibles, de ces ambitieux qui ont besoin de sympathie, et pas de santé — un autre Pernichon. Je l’ai vu avant son départ pour la Belgique, un soir — attendez ! — non, c’était un soir de décembre, un soir d’hiver… Pourquoi vous autres, vous jetez-vous toujours dans la gueule du loup ?

Il s’arrêta brusquement, prêta l’oreille. Un cri aigu éclata non loin d’eux, dans le silence, s’éteignit aussitôt. L’Auvergnat n’entendit plus que la respiration de l’infirme, devenu rauque et brève.

— Jules ! cria-t-il tout à coup d’une voix tonnante.

Il fit, pour atteindre la sonnette, à quelques pas, un immense effort. Mais comme il étendait la main, la porte s’ouvrit doucement, et l’ancien légionnaire fit paraître dans l’entre-bâillement une face transfigurée par L’insolence et la peur.

— Vous m’avez menti ! cria de nouveau M. Guérou.

Son agitation était si extraordinaire que Pernichon le crut d’abord frappé de démence. Malgré lui, son regard chercha celui de l’infirmier pour y trouver la même crainte, mais à sa grande surprise, il ne vit dans ce regard qu’une soumission désespérée, et il se sentit étreint par la déception des rêves, lorsque les visages qui passent ne reflètent rien de notre angoisse.