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L’IMPOSTURE

malheureux… J’ai besoin… Oh ! j’ai besoin… comment dirais-je ? J’ai besoin… ah ! j’ai tellement besoin de… de sympathie !… de votre sympathie ! Depuis quelques semaines — je ne devrais pas vous l’avouer… je sens que je vais achever de me perdre dans votre esprit… depuis des mois, je ne sais absolument plus prier !

Une sincère émotion — et peut-être quelque chose de plus — apparut dans le regard du compatissant prélat ;

— Vous devez vous ouvrir à quelque prêtre consciencieux, réfléchi — mais éclairé, sachant le monde… Le choix n’en est pas facile ! Hélas ! pourquoi tant de nos confrères, et parmi les plus zélés, manquent-ils si souvent de cette largeur d’esprit indispensable ?… Avant que de vous conseiller, je désire me remettre, peser le pour et le contre. C’est une entreprise délicate ! Accordez-moi que je ne pouvais m’attendre… Notre entretien vient de prendre un tour…

Il sourit, secoua gentiment le bras qu’il sentait frémir, allongea son index, tâta le maigre poignet.

— Vous avez la fièvre ! Du moins vous êtes en plein état fébrile… Quelle folie ! Comment une simple altercation a-t-elle pu vous bouleverser à ce point ? Ne prenez donc pas au tragique des malentendus… Oui ! oui !… ajouta-t-il aussitôt en rougissant légèrement, je pense aussi à ce malentendu d’ordre plus intime, cette crise de sécheresse qui vous détourne de la prière… Il y a péril, mon cher ami, à se laisser obséder par ces menus épisodes de la vie intérieure… C’est une des formes de la tentation qui… Non ! non ! croyez-le bien : je ne suis pas — grâce à Dieu ! — de ces hallucinés qui voient le démon partout, en parlent à tout propos.