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L’IMPOSTURE

trouver un jeune collaborateur, ardent, enthousiaste !… Ils me délaissent tous… Un autre que moi dirait qu’ils me trahissent… Vous venez d’en avoir la preuve.

Il s’agita sur sa chaise, serrant les dents pour ne pas gémir. Et il griffait doucement de ses ongles le velours de l’accoudoir.

— Je suis bien puni, Guérou, de m’être confié à autrui… J’avais horreur de la réclame, des querelles, du public. Et puis encore, ma faible santé. Voilà bien des années que j’attends ! Je me possède, voyez-vous… tout est là… Il faut se posséder… On finira par rendre justice à ma politique… une politique bien humble… bien concrète… Dès le printemps prochain…

— La voiture est à la porte, dit M. Guérou.

Mgr Espelette sortit le dernier.

Son émotion était encore si forte qu’il renvoya son chauffeur, et résolut de gagner à pied la rue de Bellechasse (il était l’hôte, à Paris, de l’ancien ministre Pupey-Gibon, député radical de la Côte-d’Or, son camarade de l’École normale). Il se reprochait — car le scrupule de cette âme désarmée est douloureux et incessant — de n’avoir pris parti avec plus de vigueur, il n’eût su dire d’ailleurs pour qui, le désespoir de Pernichon l’ayant profondément ému, bien qu’il sentît toujours pour M. Catani la même estime mêlée de crainte, ou peut-être d’un secret dégoût. — J’aurais pu agir à temps sur le jeune homme, l’apaiser, l’éclairer sur son imprudence… » Chose étrange ! il ne doutait guère que l’infortuné publiciste n’eût dit vrai, et pourtant la perfidie de son redoutable adversaire ne révoltait pas son cœur. La sérénité de ce sot se dis-