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L’IMPOSTURE

— Je suis de ces privilégiés dont vous parlez, dit-il. Du moins, j’en étais encore il y a peu de temps. Mais je ne suis désormais plus rien pour M. l’abbé Cénabre qu’un admirateur respectueux de ses lumières et de son talent.

— Pourquoi donc ? s’écria Mme Jérôme avec une étourderie affectée.

L’imperceptible murmure qui s’éleva de toutes parts la fit rougir à son tour, et elle reprit d’une voix étranglée, qui se raffermit peu à peu :

— Je parais sans doute bien audacieuse ! Mais n’est-il pas vrai, Monseigneur, qu’un homme tel que M. l’abbé Cénabre échappe en quelque mesure à la loi commune, et qu’en sa faveur il est permis d’être indiscrète ? La décision de M. Pernichon peut avoir été prise fort naturellement, sans qu’il soit nécessaire de supposer… Faites-moi taire ! s’écria-t-elle en riant de toutes ses dents blanches. Je ne me tirerai pas toute seule de ce pas difficile ! Je suis une abominable curieuse, voilà tout !

Elle enveloppa son mélancolique adversaire d’un regard indéfinissable, où le simple mépris le disputait à une sorte de compassion maternelle, car elle ne désespère pas encore de joindre un jour à son riche butin cette petite proie, et elle le plaint sincèrement de ne savoir oser.

Mais, à l’extrême surprise de tous, M. Pernichon répondit avec une extraordinaire vivacité :

— Je n’ai plus revu M. l’abbé Cénabre depuis son retour d’Allemagne.

Il prit son temps, et comme malgré lui, terrifié de sa propre audace, d’une voix dont il s’efforçait en vain